
Chers amis,
aujourd’hui nous méditons le plus solennel des après‑midis du calendrier
chrétien. L’Église paraît dépouillée, silencieuse. Nous ressentons un mélange
de stupeur, de tristesse, mais surtout une profonde gratitude pour l’amour
immense que Dieu nous a manifesté en Jésus‑Christ. Parmi les nombreux passages
bibliques proposés au cours de ce Triduum pascal, je voudrais m’arrêter sur
deux versets : Jean 13,1 et Jean 15,13.
« Il les aima jusqu’au
bout » (Jn 13,1) »
Saint Jean place
cette phrase comme un en‑tête de tout le récit de la Passion : « Lui
qui avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au
bout. » En grec, eis telos signifie à la fois « jusqu’au
dernier souffle » et « jusqu’à la limite extrême ». Jésus ne
ménage pas son affection ; il la répand comme l’eau du bassin lorsque, à
genoux, il lave des pieds fatigués et poussiéreux , un travail
d’esclave accompli par le Maître de l’univers. Il a tout donné pour que nous
soyons réconciliés avec Dieu.
Saint Augustin
disait : « La mesure de l’amour, c’est d’aimer sans mesure. »
Lorsque nous contemplons le Calvaire, nous voyons un amour qui bat tous les
records, un amour sans limite. Chaque coup de fouet, chaque pas douloureux,
chaque goutte de sang crie : « Je ne t’abandonnerai jamais. » La
Passion et la Mort de Jésus sur la croix sont la plus belle lettre d’amour que
Dieu nous ait écrite.
« Il n’y a pas de plus grand amour… »
(Jn 15,13)
Quelques heures
après le lavement des pieds, sur le chemin de Gethsémani, Jésus se tourne vers
ses amis : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie
pour ses amis. » Les apôtres ne le comprennent pas encore, mais il signe
déjà l’acte de donation de sa propre vie.
Les Pères de
l’Église ont abondamment commenté la Passion. Saint Grégoire le Grand fait
remarquer une chose remarquable : Jésus aurait pu réduire ses ennemis au
silence d’un seul mot, mais il a choisi de se taire pour nous donner la parole.
Voilà la véritable puissance de l’amour : une force tempérée par la
miséricorde ; l’unique amour qui sauve vraiment.
Et observez qui
il appelle « amis » : non pas des disciples parfaits, mais des
compagnons fatigués et somnolents qui, bientôt, le renieront, le trahiront,
l’abandonneront. S’il y a une place pour eux au pied de la croix, il y en a
aussi pour chacun de nous.
Il nous avait
prévenus (Mt 17,22‑23) : trois fois sur la route de Jérusalem, Jésus
a pris les Douze à part pour leur annoncer dans le détail qu’il serait livré,
bafoué, mis à mort, et que le troisième jour il ressusciterait. Les clous mêmes
qui le fixent proclament la solidité de ses promesses.
Ce message
rejoint nos vies. Lorsque nous affrontons la
souffrance , maladie, deuil, angoisse , nous demandons
souvent : « Pourquoi ? » Quand il nous semble que Dieu se
tait, souvenons‑nous du cri de Jésus sur la croix : « Mon Dieu,
mon Dieu, pourquoi m’as‑tu abandonné ? » En ce cri se récapitule
toute expérience humaine de l’abandon, de l’agonie, de la mort. Le Vendredi
saint ne répond pas à toutes nos questions, mais il révèle qui se tient à nos
côtés dans nos nuits, portant nos fardeaux et nous assurant : « Les
ténèbres n’auront pas le dernier mot. »
Saint Éphrem le
Syrien décrivait la croix comme « l’arbre qui a fleuri dans le sang afin
que le paradis refleurisse ». Bernard de Clairvaux nous invite :
« Contemple les plaies du Christ ; tu y liras son cœur. »
Catherine de Sienne s’écrie : « Ô brasier de charité ardente !
Quel cœur fut jamais consumé aussi totalement par amour pour ses
créatures ? » Thérèse de Lisieux murmure tendrement : « Il
m’a aimée et s’est livré pour moi. »
Ces voix de la tradition nous rappellent que la
croix est un don si personnel qu’elle porte chacun de nos noms.
À l’exemple de
Marie et de Jean, approchons‑nous. Apportons nos péchés, nos regrets, nos
relations brisées pour qu’ils soient crucifiés avec lui. Laissons sa manière
d’aimer inspirer nos actes : Pardonner ceux qui ne s’excuseront peut-être
jamais. Servir discrètement, sans
attendre de reconnaissance. Rester auprès de la croix de quelqu’un, même si
nous n’avons que notre présence à offrir.
Une petite
histoire illustre cette vérité : une infirmière
racontait qu’un patient redoutait de mourir seul. Elle resta à son chevet toute
la nuit, lui tenant la main. Au matin, il était parti, mais son visage
rayonnait de paix. Cette infirmière a incarné ce que Jésus fait pour le monde
entier aujourd’hui : refuser que quiconque souffre dans la solitude.
Prions :
Seigneur Jésus, tu nous as aimés jusqu’au bout et tu as donné ta vie pour tes
amis.
Apprends à nos cœurs agités la vraie force de l’amour livré.
Que le souvenir de tes plaies guérisse les nôtres, que ton silence nous donne
courage dans nos peurs, et que la promesse de ta résurrection allume en nous
l’espérance. Amen.
« Nous t’adorons, ô Christ, et nous te
bénissons, car par ta sainte croix tu as racheté le monde. »
Que ce Vendredi saint nous rapproche toujours plus
de cette croix rédemptrice, afin que, lorsque l’aube de Pâques se lèvera, nos
cœurs soient renouvelés.